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Une mémoire de papillon


Comme le damier de Taylor, le facteur Heliconius melpomene semble avoir des facultés limitées à apprendre à exploiter de nouvelles plantes hôtes. - © Russell - Adobe Stock

Si la capacité des insectes à ressentir la douleur et des émotions fait débat, il a été démontré à maintes reprises qu’ils disposent d’indéniables capacités d’apprentissage et de mémorisation.

Une expérience classique pour le prouver consiste à proposer des leurres (typiquement des récipients de différentes couleurs) offrant une récompense (un liquide sucré) ou non, et à observer dans quelle mesure et avec quelle vitesse les papillons adaptent leur comportement pour se diriger directement vers les leurres de la bonne couleur. Il a ainsi été possible d’entraîner des moro-sphinx, qui manifestent une préférence innée pour les fleurs bleues et jaunes dans la nature, à rechercher d’autres couleurs dans des conditions expérimentales. Le papillon est capable de mémoriser, chaque jour, une nouvelle paire de couleurs, et ce durant plusieurs jours, même si cet apprentissage ne fonctionne pas à tous les coups. Ainsi, dans un test avec des espèces tropicales, seul un individu sur quatre se dirige vers la bonne couleur de manière préférentielle. Par contre, ceux qui y parviennent réussissent même à associer en sus une information d’heure : telle couleur ne délivre du nectar que le matin, telle autre que l’après-midi. La capacité de mémorisation ne peut bien entendu excéder la durée de vie du papillon : un imago vit typiquement quelques semaines seulement. Mais qu’en est-il pour les espèces qui hivernent à l’état imaginal (d’adulte et non pas de chenille ou d’œuf) ? Pour y répondre, l’expérience a consisté à entraîner durant une semaine des moro-sphinx à sélectionner un leurre correspondant soit à des couleurs « innées », soit non innées, avant de les placer en « hibernation » à 11 °C. Les papillons qui avaient été entraînés avec une ou deux couleurs « innées » (bleu ou jaune par exemple) s’en sont souvenus à la sortie d’hibernation, tandis que les autres en ont été incapables. Cela suggère que l’hibernation n’altère probablement que partiellement la mémorisation.

Les chenilles également font preuve de capacités de mémorisation. Ainsi, les chenilles de la diacrisie de Virginie à qui l’on présente plusieurs plantes nourricières manifestent une attirance spontanée pour le pétunia. Ce menu provoque une maladie aiguë, mais les chenilles s’en remettent malgré tout et s’abstiennent par la suite de reprendre une portion de pétunia ! Si le papillon apprend déjà à l’état de chenille, est-il pour autant capable de se souvenir, une fois imago, d’événements de sa vie larvaire, surtout lorsque l’on mesure les remaniements morphologiques incroyables, y compris au niveau du système nerveux central, qui s’opèrent lors du stade nymphal ? Pour le tester, des chercheurs ont soumis des chenilles du sphinx du tabac, en milieu ou en fin de développement, à de légers chocs électriques en association avec un gaz à l’odeur caractéristique. Après la métamorphose, les imagos ont bien manifesté une aversion pour ce gaz.

Le damier de Taylor, un papillon de jour américain, est capable d’apprendre à exploiter une nouvelle ressource nectarifère mais pas une nouvelle plante hôte. - © Sundry Photography - Adobe Stock

Par contre, cela concernait uniquement ceux qui avaient été soumis à l’expérience en fin de développement de chenille.

De même, on serait tenté de penser que le papillon se souvient de la plante hôte qui l’a vu grandir. En effet, de très nombreux insectes montrent une préférence pour l’espèce sur laquelle ils se sont développés. Les multiples études sur le sujet ont toutefois abouti à pratiquement autant de conclusions positives que négatives ! Par exemple, nourrie à l’un ou l’autre de deux menus « domestiques » (du blé ou du chocolat à la noisette), la femelle de la phycide des amandes recherche bien le menu de sa jeunesse de chenille pour pondre, quand sa cousine, la teigne des fruits secs, ne manifeste aucune préférence.

Il n’existe pas d’étude sur la mémorisation spatiale des papillons. La majorité des recherches sur le sujet chez les insectes se sont intéressées à des espèces qui font des allers-retours vers leur nid (la ruche par exemple, pour les abeilles) et qui doivent se remémorer le trajet à chaque nouveau déplacement. Ne défendant qu’un territoire très limité, les papillons territoriaux font probablement appel à une mémoire immédiate à très petite échelle. Le monarque américain rejoint chaque année les mêmes quartiers d’hiver dans le Sud du continent, mais en une succession de générations : il ne peut donc y avoir de mémorisation, l’instinct migratoire étant purement inné. Chez les abeilles et les fourmis, les études ont montré que ces insectes pouvaient se repérer de différentes façons, en comparant ce qu’ils voyaient avec des images déjà mémorisées(notamment des repères marquants) ou en estimant la direction et le temps de parcours, et en combinant les deux. Même si ces mécanismes sont certainement moins développés chez les papillons, ils sont vraisemblablement présents.

Une forte capacité de mémorisation est particulièrement utile aux espèces qui doivent faire face à une importante variabilité, dans le temps et dans l’espace, de leurs ressources. Par exemple, les différentes générations annuelles d’un même papillon (à titre d’illustration, les piérides en ont quatre à cinq, d’avril à novembre) ou encore les migrateurs doivent s’adapter rapidement, sur la durée de leur vie, à repérer les ressources nectarifères disponibles dans leurs environs immédiats. Il est vraisemblable que ces espèces soient particulièrement sensibles à l’apprentissage par association : telle couleur est synonyme de nectar. Cette faculté semble peu utile chez la chenille ; son apprentissage passerait ainsi plutôt par l’habituation et la sensibilisation : la répétition d’un stimulus entraîne graduellement la diminution et l’augmentation, respectivement, de l’intensité de sa réponse.

 

Cet extrait est issu de l'ouvrage :

Dans l'intimité des papillons
Dans l'intimité des papillons
Qui ne s’est jamais émerveillé devant l’éclat multicolore d’un paon du jour en train de butiner ? Le poète chante la beauté du papillon mais le fermier et le jardinier pestent contre la voracité de ses chenilles. Mais finalement que savons-nous véritablement de lui ? Pas grand-chose souvent. Il ne s’offre pas si facilement au regard.
Saviez-vous que les papillons sont apparus avant les dinosaures mais surtout avant leurs si fidèles compagnes, les plantes à fleur ? Qu’un animal sur dix sur Terre est un papillon et que neuf sur dix vivent la nuit ? Ils sont dotés d’un cerveau capable d’apprendre et de mémoriser où se trouvent les meilleurs « bars à nectar », et d’organes sensoriels plus étranges les uns que les autres, leurs yeux à l’allure de boules à facettes tout autant que leurs antennes bardées de capteurs ultra-puissants. La reproduction de ces insectes est affaire de couleurs comme de parfums, et même de douces mélodies chez certains ! Le plus incroyable reste pourtant la métamorphose, ou comment une chenille boudinée laisse place à l’imago, ce papillon qui se donne enfin à voir. Il part à la découverte du monde, à la force de ses quatre ailes. Délicatement saupoudrées d’écailles, tout autant tenues de scène que de camouflage, elles s’adressent aux partenaires comme aux prédateurs. Rouge et noir : passez votre chemin, je suis toxique !
Et comment imaginer en contemplant une belle-dame sur une lavande que la nuit venue, peut-être, elle filera à 50 km/h à plus de 1 000 mètres d’altitude ?
Les papillons sont aujourd’hui l’une des plus éclatantes réussites de l’évolution. Ils n’échappent pourtant pas à l’inquiétante disparition qui touche toute la biodiversité. Envisager notre rapport à la nature autrement permettrait assurément de voir les prairies d’antan refleurir de papillons.
Laissez-vous entraîner dans toutes les facettes de leur intimité…
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