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Mémoire spatiale et cachettes chez les oiseaux


La mésange à tête noire connaît une existence difficile, vivant à haute altitude, là où la nourriture est rare. Elle doit cacher en automne de quoi se nourrir lors des longs et froids mois d’hiver, lorsque peu de choses comestibles poussent. - © Shutterstock

La vie n’est pas facile pour un cassenoix d’Amérique. Pour survivre à l’hiver, dans la toundra enneigée des Rocheuses, il lui faut une mémoire spatiale qui lui permette de retrouver précisément les réserves de nourriture constituées plusieurs mois plus tôt. Il s’est adapté à se nourrir de pignons de pin et à creuser des sols durs. Ne mangeant rien d’autre, il est dépendant de ces caches.

LE JEU DES CHIFFRES
La vie est moins difficile pour le geai des pinèdes, un autre corvidé nord-américain. S’il vit aussi à haute altitude, il dépend moins des pignons de pin : même s’il cache autour de 22 000 graines par an, il consomme et cache d’autres aliments. En comparaison, la vie est facile pour le geai buissonnier. Il vit aux environs du niveau de la mer, fouinant les broussailles et les parcs de l’Ouest urbain des États-Unis, et bien qu’il cache lui aussi sa nourriture, il le fait bien moins que les deux autres (autour de 6 000 pignons de pin par an). En laboratoire, où l’on a testé les capacités des trois à cacher et à retrouver, mais aussi leur mémoire spatiale générale, le cassenoix d’Amérique et le geai des pinèdes ont systématiquement surclassé le geai buissonnier, commettant un nombre d’erreurs limité avant de retrouver des caches, mais aussi se souvenant de caches après des temps plus longs. Une mémoire spatiale moins développée chez le geai buissonnier qui reflète bien sa dépendance moins grande par rapport à la dissimulation de la nourriture.

UNE IMAGE PAS SI SIMPLE
Cette représentation relativement simple du rapport entre dépendance à cacher, variabilité climatique et mémoire spatiale est considérée comme l’un des exemples les plus clairs d’une spécialisation adaptative de la cognition, en d’autres termes d’une habileté cognitive (par exemple la mémoire spatiale), qui aurait évolué de manière à résoudre un problème écologique spécifique (comme arriver à localiser ses caches). Toutefois l’image est plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Pour commencer, nous ne savons pas réellement combien de graines chaque espèce cache chaque année et pour combien de temps ; les chiffres ne sont que des estimations, souvent issues d’expérimentations en laboratoire. Par ailleurs, on se concentre ici sur le nombre de pignons cachés. Or si le cassenoix d’Amérique, et dans une moindre mesure le geai des pinèdes, se sont spécialisés dans la consommation et le stockage de pignons de pin, le geai buissonnier présente un régime alimentaire élargi qui intègre des invertébrés et des baies. Enfin, si ce dernier vit à des altitudes moins élevées que les deux autres, cela ne signifie pas pour autant que son environnement est moins hostile. Pour avoir vécu dans la Vallée centrale de la Californie, je peux attester que la vie pour un petit oiseau ne peut pas être qualifiée de facile à 46 °C et avec des ressources en eau limitées. Les aliments préférés du geai buissonnier ont des durées de conservation limitées, dans ces lieux où une exposition prolongée au soleil les ferait pourrir très rapidement. Ces aliments sont aussi la cible des pillards et ne peuvent pas être laissés seuls longtemps sans protection. C’est pourquoi, si le cassenoix a adapté sa mémoire spatiale afin de se souvenir d’un grand nombre de caches, le geai buissonnier a pu se tourner vers une forme différente de mémoire, adaptée à des problèmes différents, comme se souvenir du moment où la nourriture a été cachée, de son type et de l’endroit, et même de qui ou de ce qui a pu observer la scène à ce moment-là.

Les corvidés américains qui vivent à différentes altitudes et dans différents environnements, présentent une dépendance variable au fait de cacher leur nourriture. Les espèces vivant à plus haute altitude cachent de plus grandes quantités de graines que celles vivant plus bas. - © John Woodcock

Les corvidés ne sont pas les seuls oiseaux à cacher de la nourriture. Certains pics, le miro rubisole et les pies-grièches le font aussi régulièrement, mais loin derrière les mésanges qui font partie des pratiquants les plus assidus de cette technique. Ils ne laissent pas cependant leurs provisions aussi longtemps que les corvidés, probablement en raison de leur petite taille qui fait qu’ils ne peuvent pas trop endurer le froid sans s’alimenter régulièrement. Comme pour les corvidés, lorsque l’on compare des mésanges qui cachent comme les mésanges noires, boréales et nonnettes, avec celles qui ne le font pas, comme les mésanges bleues et charbonnières, sur des tâches sollicitant la mémoire spatiale mais ne concernant pas cette dissimulation de la nourriture, les espèces qui cachent surpassent malgré tout les autres, que ce soit pour se souvenir où elles ont aperçu de la nourriture ou pour se servir de repères dans l’espace plutôt que de repères colorés pour trouver de la nourriture.

DES CACHES BALISÉES
Comment font le cassenoix d’Amérique et la mésange à tête noire pour trouver leurs caches parfois des mois après ? L’idée la plus répandue serait qu’ils exploitent les rapports entre l’emplacement de leurs caches et les points de repères naturels présents, comme des arbres ou des rochers. Ces repères sont suffisamment gros pour être visibles même couverts de neige, et plus les repères sont nombreux, plus la localisation est précise. Les oiseaux se servent de repères à la fois locaux et globaux. À l’instar des pigeons cherchant à retrouver leur domicile, ils utilisent des repères globaux plus gros (comme des montagnes ou des rangées d’arbres) pour se concentrer sur la bonne région, puis la configuration de repères plus petits, comme des arbres, pour cibler leur cache. Pour démontrer cela, des cassenoix furent soumis à des tests dans une arène couverte de sable, où l’on avait placé divers rochers. Les oiseaux cachèrent de la nourriture près des rochers. Sur la moitié de l’arène, on déplaça ensuite les rochers repères de 20 cm vers la droite. On laissa les oiseaux partir en quête de leurs caches. Du côté droit de l’arène, ils concentrèrent leurs recherches en se basant sur les repères déplacés et non sur la localisation réelle de leurs caches. Du côté gauche, où rien n’avait été bougé, ils retrouvèrent avec une grande précision leurs caches.

Cet extrait est issu de l'ouvrage :

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