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Milieux extrêmes et solutions pour une société durable


Filet capteur de brouillard déployé dans le massif de Teno, île de Tenerife, dans l’archipel espagnol des Canaries. - © Phil Crean A/Alamy Banqued’images

Les menaces qui pèsent sur de nombreuses ressources (eau, énergie), de même que la gestion des déchets produits par nos sociétés, sont des défis de notre temps et motivent la recherche de solutions plus durables. Là encore, la nature, et particulièrement les milieux extrêmes, sont une source inépuisable d’inspiration.

S’inspirer de la nature pour attraper le brouillard…
Sur Arrakis, planète désertique recouverte de dunes, l’eau est une ressource rare et précieuse. Pour survivre dans cet environnement hostile, le peuple humanoïde de cette planète, les Fremens, récupère l’humidité atmosphérique grâce à des pièges à vent. En 1965, lorsque Frank Herbert décrit ce monde dans son roman Dune, le dispositif de récupération d’eau n’est que le produit de son imagination. Trente ans plus tard, la réalité rejoint la fiction !En 1992, des filets déployés au sommet de la montagne El Tofo, au Chili, condensent l’humidité du brouillard et alimentent en eau potable le village côtier de Chungungo. Une centaine de filets en propylène, de 4 mètres de haut sur 12 mètres de large, collectent quotidiennement 15 000 litres d’eau, ensuite acheminés par un pipeline jusqu’au village en contrebas. Ce système, opérationnel pendant 10 ans, a été abandonné suite à l’expansion importante de la population du village. Depuis 2000, les acteurs de ce projet pionnier poursuivent le développement de ces collecteurs de brouillard au sein de l’ONG canadienne FogQuest. D’autres filets ont été installés dans plusieurs régions au climat chaud et humide du Guatemala, du Maroc, de l’Espagne, du Népal… Le principe de ces pièges est similaire à celui utilisé par les ténébrions buveurs de brouillard : une surface hydrophobe, placée sur un sommet plongé dans le brouillard, est orientée perpendiculairement au vent.

En 2001, une étude du zoologiste Andrew Parker et du spécialiste des matériaux Chris Lawrence, publiée dans la revue Nature, rapporte la capacité exceptionnelle de Stenocara, scarabée du désert, à capturer le brouillard grâce à sa carapace hérissée de bosses hydrophiles réparties sur une surface hydrophobe. Selon les deux auteurs, l’eau se condenserait sur les bosses, puis ruissellerait sur la surface de l’aile. L’industrie se lance alors dans la fabrication de surfaces qui imitent ces propriétés exceptionnelles, et leur développement fait l’objet de travaux d’une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 2006, suivis de nombreux autres. Depuis, le cas de Stenocara a été repris à l’envi dans les ouvrages et dans les médias comme un exemple de bioinspiration ; en 2019, la BBC l’a même choisi pour être la star d’un épisode de son podcast « 30 Animals That Made Us smarter » (« 30animaux qui nous ont appris quelque chose »). Et pourtant, Stenocara n’est pas un buveur de brouillard, et on ne sait pas actuellement quelle est sa source d’eau ! En 2020, dans une revue sur les ténébrions du désert, des chercheurs d’Afrique du Sud et de Namibie ont en effet signalé une erreur d’identification de l’espèce et de description de la carapace dans l’étude initiale, qui a créé cette confusion. Une confusion qui a finalement mené à l’invention de surfaces collectrices de brouillard très efficaces !

… et pour se refroidir ou se chauffer sans dépenser d’énergie

La ville de Hong Kong, au sud-est de la Chine, est très peuplée et hérissée de gratte-ciel. Pendant l’été, 60 % de la consommation énergétique de la ville sert à distribuer de l’air conditionné dans les bâtiments. Des mesures s’imposent pour éviter le gaspillage d’énergie ! Le refroidissement passif, sans consommation d’énergie électrique, est une stratégie susceptible d’offrir d’énormes économies. En 2018, une équipe scientifique de l’université des sciences et technologies de Hong Kong a développé des prototypes de matériaux inspirés des soies de la fourmi argentée. Ces surfaces, constituées de silicones et de silice, imitent la structure géométrique des soies afin de combiner leurs deux caractéristiques : une réflexion forte des rayonnements solaires et une capacité à évacuer la chaleur. Installés sur les parois des immeubles, ces matériaux permettraient à la fois de limiter l’apport de chaleur solaire, mais aussi de dissiper efficacement la chaleur pour refroidir l’intérieur des bâtiments sans dépense d’énergie. Mais attention, il ne s’agit pas là de parer les immeubles d’une fourrure argentée, car ces matériaux ambitionnent d’imiter les propriétés des soies de la fourmi et non leur allure ! Les équipes de l’université travaillent également sur des vêtements rafraîchissants inspirés des soies. De l’autre côté du Pacifique, l’équipe du professeur Yu de l’université de Columbia, à l’origine des travaux sur les soies de la fourmi argentée du désert, développe des matériaux qui réfléchissent efficacement les rayonnements solaires (plus efficacement que la peinture blanche sur les toits, par exemple). Leur objectif est de fabriquer des composants optiques, utilisés dans le domaine de la télécommunication et des radars, ayant des propriétés de radiation similaires à celles des soies de la fourmi.

Toiture végétalisée constituée principalement de sedums, des plantes de la famille des crassulacées adaptées à la sécheresse. - © Simon Turner/Alamy Banque d’images

Dans le même domaine de l’isolation, mais pour rester au chaud cette fois-ci, les poils de l’ours polaire (décrits précédemment) servent de modèle pour développer des matériaux isolants. Un lapin, enveloppé dans une couverture composée de poils creux inspirés de ceux de l’ours, s’est ainsi révélé invisible à la caméra thermique, car tous les rayonnements infrarouges produits par son corps sont restés piégés sous l’enveloppe. Ce type de matériau isolant pourrait, par exemple, trouver des applications pour le revêtement de véhicules spatiaux.

Les espèces qui colonisent les milieux extrêmes ne sont pas seulement source d’inspiration pour le développement de nouveaux matériaux. Toujours dans le domaine de l’isolation, ces espèces peuvent également intervenir directement ! C’est le cas dans les toitures végétalisées. Les toitures traditionnelles scandinaves et irlandaises recouvertes de tourbe ou de gazon existent sans doute depuis la préhistoire ; la terre et la végétation sont en effet d’excellents isolants naturels. Sous nos latitudes, l’émergence de modes de construction plus respectueux de l’environnement et la nécessaire prise en compte de l’impact du changement climatique poussent de plus en plus de constructeurs à recourir à des toitures végétalisées. La végétation intercepte le rayonnement solaire, et limite ainsi le flux de chaleur qui entre à travers le toit. Autre avantage de cette toiture : l’évapotranspiration des végétaux réduit également la chaleur sur le toit. Lorsqu’il fait froid, les toits végétalisés réduisent les pertes de chaleur, car la terre et les plantes emprisonnent de l’air, qui est un très bon isolant. À l’échelle de la ville, le remplacement des revêtements sombres ou accumulateurs de chaleurs par des surfaces végétalisées réduirait le réchauffement urbain. Mais quelles plantes choisir pour ces surfaces ? C’est là que nous retrouvons nos championnes des milieux extrêmes ! Le plus souvent, on plante des espèces adaptées aux milieux arides et fortement exposés aux rayonnements UV, comme les membres de genre Sedum qui mettent en œuvre le métabolisme acide crassulacé en, ou encore des mousses. Ces espèces limitent l’entretien nécessaire au maintien de la couverture végétale : elles sont peu exigeantes côté arrosage, et les jardiniers n’ont plus à remplacer des plantes desséchées ou brûlées par le soleil…

Cet extrait est issu de l'ouvrage :

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