© Joost/ Adobe Stock
Leur seule fonction est d’acquérir des informations sensorielles sur l’environnement. Ils peuvent sentir, goûter, entendre, percevoir la température, l’humidité, les courants d’air, les champs électriques et analyser les formes et les textures de surface. Bien que tous les insectes possèdent des antennes, celles-ci sont particulièrement utiles si vous passez une bonne partie de votre temps dans l’obscurité totale d’un nid. Là, elles sont constamment en mouvement (sauf si l’abeille dort), sondant et évaluant les multiples stimuli sensoriels de la colonie. Lorsqu’une abeille se pose sur une fleur, elles sont utilisées pour localiser la source de la récompense désirée, à l’aide de multiples indices sensoriels. Les antennes sont composées de trois segments principaux, appelés scape, pédicelle et flagelle. Leur grande mobilité est facilitée par l’articulation à rotule entre le scape et la capsule céphalique (permettant des mouvements de rotation), et par une autre articulation à charnière entre le pédicelle et le scape.
Toute la surface de l’antenne est très riche en capteurs de différents types. Les plus visibles sont en forme de poils, de différentes catégories selon leur diamètre et leur longueur — et tout cela en dépit d’une taille minuscule (10-20 μm de long). Beaucoup d’entre eux sont utilisés dans l’olfaction, la détection à distance de produits chimiques en suspension dans l’air. Les protubérances en forme de poils utilisées dans l’olfaction (d’autres sont utilisées dans le sens du toucher, également appelé mécanoréception) sont dotées de multiples pores sous lesquels se trouvent les cellules qui sont stimulées lorsqu’une molécule odorante se lie à elles. D’autres récepteurs olfactifs se trouvent sous de petites cavités ou sous des zones ovales sur la surface de l’antenne.
Au total sont réparties le long de l’antenne de chaque abeille ouvrière environ 65 000 cellules réceptrices olfactives de plus de 100 types différents, chacune étant sensible à des composés distincts. Les mammifères peuvent en avoir plus de 1 000 types différents, mais cela ne signifie pas qu’une abeille est sensible à moins d’odeurs, car chaque type de récepteur olfactif de l’abeille est sensible à un type différent de molécules odorantes ; de nombreuses odeurs et de mélanges d’odeurs peuvent être définis par un certain rapport dans lequel les différents types de récepteurs sont stimulés. Les abeilles peuvent même sentir des substances que nous ne pouvons pas sentir, comme le dioxyde de carbone — un atout certainement utile dans les conditions de promiscuité de la ruche, où la ventilation active peut être cruciale pour la survie si les niveaux de CO2 sont trop élevés — ce qui pourraitégalement indiquer que les niveaux d’oxygène sont extrêmement bas.
La grande diversité des types de récepteurs olfactifs par rapport à la vision des couleurs des abeilles, qui ne compte que trois types, trouve sa logique dans l’extrême densité des produits chimiques en suspension dans l’air qui sont importants dans la vie des abeilles. Une seule espèce de fleur peut produire des dizaines de molécules odorantes — et n’oublions pas qu’il peut y avoir plusieurs dizaines d’espèces de fleurs dans la zone de vol d’une abeille. En outre, les abeilles génèrent elles-mêmes de multiples signaux phéromonaux : les larves qui signalent qu’elles ont faim, les ouvrières qui annoncent un danger ou la découverte de nourriture, les reines qui affirment leur domination. Chacun de ces phénomènes représente à son tour un mélange de multiples molécules différentes. Dans l’obscurité du nid, il existe également de nombreux autres indices olfactifs (non générés par les abeilles) dont la détection est cruciale, comme celui de la moisissure sur la structure du rayon ou celui qui indique l’intrusion d’une abeille étrangère venue piller le miel.
Randolf Menzel a découvert que les abeilles mellifères peuvent apprendre très rapidement à associer des couleurs à des récompenses. Pour certaines odeurs — en particulier les odeurs florales — une seule récompense associée à cette odeur peut conduire à une précision de reconnaissance de 90 %, alors que pour les autres odeurs, qui sont généralement moins importantes dans la vie d’une abeille, jusqu’à 10 essais seront peut-être nécessaires. Les abeilles mellifères font preuve d’une extrême flexibilité en ce qui concerne cet apprentissage, de sorte qu’elles peuvent associer des récompenses sucrées même à des odeurs qu’elles ne rencontreront jamais dans les fleurs naturelles. Par exemple, elles peuvent apprendre leur propre phéromone d’alarme — une substance en suspension dans l’air, normalement libérée par les abeilles en présence d’une menace, qui induit l’agression et la piqûre — comme prédicteur d’une récompense. Lorsque j’étais jeune étudiant et que je travaillais dans un laboratoire tard la nuit, j’ai découvert que j’avais accidentellement conditionné les abeilles à l’odeur de la bière dans mon haleine : lorsque j’expirais, elles étendaient leur langue en prévision d’une récompense.
La sensibilité des abeilles aux odeurs n’est pas aussi extraordinaire que celle d’un chien renifleur — en fait, pour plusieurs substances, elle est comparable à celle des humains. Néanmoins, plusieurs chercheurs ont expérimenté la possibilité d’utiliser des abeilles mellifères comme « renifleurs », par exemple pour la sécurité dans les aéroports. Si ces tentatives ont finalement échoué, ce n’est pas parce que les abeilles sont incapables d’apprendre, puis de réagir à l’odeur des explosifs (elles savent tout à fait les détecter), mais en raison de la fréquence de certains types d’erreurs. Les fausses alertes dans les aéroports sont acceptables (un humain peut toujours soumettre un bagage à un examen plus approfondi), mais vous ne pouvez pas tolérer les « faux négatifs » — quand votre capteur ne réagit pas en présence d’un signal réel. Les abeilles pourraient bien commettre trop d’erreurs « faussement négatives » pour être utilisées pour assurer la sécurité des aéroports.
Cela étant, la perception des odeurs par les insectes pourrait être superlative dans le règne animal à un autre égard : sa rapidité. Paul Szyscka, élève de Randolf Menzel, a découvert que les récepteurs olfactifs des abeilles réagissent à une odeur entrante en moins de 2 millisecondes ; ils peuvent également détecter l’apparition séquentielle de deux odeurs séparées par seulement 6 millisecondes et la distinguer d’une situation où elles sont présentées simultanément. Ainsi, lorsque les abeilles déplacent leurs antennes dans leur environnement (par exemple en inspectant une fleur ou un intrus potentiel dans la ruche), elles peuvent établir un profil temporel précis (un « film olfactif ») de l’objet inspecté, qui les aide à l’identifier avec une grande certitude.



