Un jardin hors les murs d’une ville allemande avec des carrés de présentation de plantes rares, dont la tulipe (début XVIIe siècle). Les visiteurs déambulent-ils dans le jardin d’un collectionneur averti ou dans un jardin botanique ?
Dans les théories platoniciennes, le chiffre quatre exprime la matière et la matérialisation de l’idée. Plutarque et les pythagoriciens affirment que le carré réunit et synthétise à la fois les puissances de Rhéa, la mère des Dieux, et celles symbolisées par Aphrodite (l’eau), Hestia (le feu), Déméter (la terre) et Héra (l’air). On retrouve dans la tradition chrétienne le symbolisme du carré, qui représente le cosmos en raison de la valeur égale des quatre côtés. Les églises cisterciennes de Grande-Bretagne, d’Allemagne, de France ont un dessin ad quadratum en relation avec les mesures de l’homme de sainte Hildegarde, celui aux pieds joints et aux bras étendus inscrits dans un carré. Selon le Dictionnaire des symboles, « le quadrangulaire n’est pas autre chose que la perfection de la sphère sur le plan terrestre ». Si cette forme carrée appartient au siècle et au temps qui passe, le cercle représente l’éternité, sans commencement ni fin. Ainsi, l’unité et la manifestation divine s’expriment par l’association du cercle céleste et du carré terrestre. Par son incarnation, le Christ inscrit la divinité dans le siècle, il lie le ciel et la terre, il inscrit le carré dans le cercle.
Dans le Roman de la Rose, deux jardins sont décrits. Dans la première partie, celle écrite par Guillaume de Lorris entre 1225 et 1230, il s’agit d’un « verger » de forme carré entouré de murs avec une nature opulente. En revanche, dans la seconde partie (1269‑1278), celle de Jean de Meung (ca. 1240‑ca. 1305), le jardin devient rond, suite au sermon du chapelain de Nature, Genius, qui transforme le jardin carré en un cosmos rond, d’un « rond si parfait que jamais bésicles ni bille ne furent de forme si bien arrondie ». Il représente le paradis chrétien. Avant la création des premiers jardins botaniques modernes, quelques jardins avaient déjà des vocations de collections de plantes indigènes et exogènes. Les jardins arabes, installés à partir du VIIIe siècle en Sicile et en Andalousie, avaientdes objectifs d’expérimentation agronomique, d’introduction, d’acclimatationet de diffusion de certains végétaux, mais pas de recherche sur la structure desplantes, ni d’essai de classification.
Au début du XIVe siècle, un jardin médicinal est établi à Salerne (Campanie) par Matthieu Silvaticus ; un autre est créé par la république de Venise en 1333. En France, Pierre Belon (1517‑1564) installe dans les années 1550 un jardin près du Mans dans lequel il sème, à son retour du Levant, les premières graines de cèdre du Liban.
Puis vinrent les premiers jardins considérés, sans ambiguïté, comme jardins botaniques, même si aucun d’entre eux n’en porte encore le nom. D’abord en Italie avec Ferrare et Padoue (1525), Pise (1543), Bologne (1568), puis aux Pays-Bas à Leyde (1577), en Allemagne à Leipzig (1580), Königsberg (1591), Breslau(1587), Heidelberg (1593), en France à Montpellier (1597). Au XVIIe siècle, les créations se poursuivent avec, en 1609, Geissen (Hesse) — cet hortus medicusest considéré comme le jardin le plus ancien encore existant en Allemagne —,Strasbourg (1619), Oxford (1621), Ratisbonne, Iéna, Ulm en 1629, Paris en1635, Uppsala en 1657, Édimbourg en 1670… Les dates de création de ces divers jardins ne préjugent pas de leur emplacement. Plusieurs d’entre d’eux seront déplacés pour des raisons diverses avant de trouver leur emplacement définitif, comme ceux de Pise et d’Édimbourg. Créé sous les auspices du grand‑duc de Toscane, Cosme Ier de Médicis, le premier jardin de Pise est mis en place en1543 par le botaniste Luca Ghini (1490‑1566). En 1563, afin de libérer l’emplacement en vue de l’agrandissement du port et de l’arsenal sur l’Arno, il est déplacé dans un autre lieu qui s’avère très vite peu approprié car trop humide. Il faut attendre 1591 avant qu’un troisième emplacement soit choisi dans le centre‑ville, entre l’université et la cathédrale, lieu actuel du Jardin botanique de Pise. Celui d’Édimbourg sera lui aussi déplacé plusieurs fois. Le premier jardin créé en 1670 est situé en centre‑ville, près du palais de Holyrood. En 1763, les collections sont transférées vers le quartier de Leith afin d’échapper à la pollution de la ville. Puis en 1820, le jardin déménage à nouveau sur son emplacement actuel de 28 hectares à Inverleith.



