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Les céréales, matrice paysagère

Les cultures céréalières ont toujours tenu une part importante dans nos paysages agricoles. Le livre "Les Très Riches Heures" du duc de Berry illustre parfaitement les changements des paysages cultivés au cours d’une année pour ces cultures centrales de la vie de notre pays, de la fin de l’Empire romain au XIXe siècle.

Les céréales, matrice paysagère

Dans sa toile Champ de blé avec cyprès, Van Gogh peint la vibration du vent qui balaye les céréales et les branches des arbres. Nous sommes en 1889, avec une illustration avant-gardiste de l’agroforesterie intraparcellaire.


Les céréales rythment les paysages au fil des saisons
Longtemps les champs ont été d’aspect changeant au cours des saisons, organisés selon un assolement simple, avec un tiers de chacune des cultures suivantes dans la surface cultivée chaque année par chaque paysan : blé ou froment, céréales secondaires dites les « mars » (avoine, orge, épeautre), et enfin, année de jachère. Cet assolement dessinait des pavages aux couleurs changeantes, et le paysage ainsi créé renfermait deux niveaux d’organisation : le champ avec ses successions de couverts et d’opérations techniques, et la sole de culture regroupant les champs voisins de même couvert. Le paysage vivait au rythme de la vie des cultures : préparation du sol nu, labouré puis hersé, semis à la volée des grains de céréales (environ 100 à 200 kg par hectare), levée de ces grains, souvent irrégulière car semés à la volée, montaison et épiaison, floraison, et enfin maturité des épis, récolte des tiges et épis.

Quatre siècles plus tard, les logiques de culture des céréales gardent le même rythme, mais leurs modalités ont été totalement bouleversées. Les principales modifications qui affectent les paysages céréaliers sont :

  •  des préparations des terres complètement mécanisées avec des charrues à multiples socs, capables de transformer le paysage de chaumes en une terre labourée en une journée, sur de vastes surfaces ;
  •  des fertilisations des champs, très souvent avec des engrais de synthèse (ammonitrate, urée), mais aussi avec les déjections animales en zones de polyculture-élevage (lisiers, fumiers, composts) ;
  •  des semis quasi toujours réalisés en lignes, pour faciliter les opérations de désherbage et de récolte ;
  •  des opérations souvent nombreuses de traitement chimique des cultures, dont désherbage par herbicide, traitements insecticides sur pucerons, épandage de raccourcisseur de paille pour éviter la verse des céréales.

La mécanisation bouleverse les paysages céréaliers
Les paysages de ces conduites très mécanisées des céréales restent des paysages ouverts, mais les remembrements et drainages ont créé des paysages aux parcelles de très grande taille, aux cultures souvent très régulières. Les paysages céréaliers évoquent souvent l’immensité, l’uniformité, où le regard cherche souvent vainement des motifs et des rythmes.

La récolte des céréales a basculé du battage en poste fixe à la moissonneuse-batteuse. Pendant plusieurs millénaires, et jusqu’à l’invention de la batteuse mécanique, le battage se repérait dans les paysages agricoles français par la place de battage. Sur ce lieu préservé des passages, circulaire, les batteurs utilisaient le fléau pour séparer le grain des glumes, épis et tiges, en frappant avec force sur les tiges de blé ramenées des champs. Une autre technique de battage consistait à faire tirer une lourde pierre par des bœufs, comme en Corse. Enfin, un acteur invisible terminait le travail du battage : le vent, qui soulevait les glumes et épillets pour ne laisser que paille en dessus de l’aire, et grains en dessous.

Puis vint une invention modifiant les paysages de récolte des céréales, celle de la moissonneuse-batteuse. C’est en 1834 que Cyrus McCormick et Lewis Miller brevetèrent respectivement la moissonneuse, la Virginia Reaper, et la batteuse mobile. Elles furent suivies d’une autre machine mobile, symbole des battages en commun : la batteuse animée par machine à vapeur. Cette batteuse laissée à poste fixe battait les récoltes d’une ferme et se déplaçait de ferme en ferme pour avancer la préparation de la mise au grenier des céréales traitées. Son impact paysager était très faible, mais son impact dans l’imaginaire collectif fut très important. De combien de photographies, de séquences de film, de cartes postales, la batteuse est-elle l’héroïne, avec l’impressionnant jeu de ces courroies ? Ici se jouaient des échanges dans un paysage éphémère signant la fin de l’été pour tous.

En France, la première moissonneuse-batteuse fut construite par Célestin Gérard, en 1864. Cette invention paracheva le changement des paysages de récolte qui s’était amorcé par phases successives. Désormais, la machine résoudrait toutes les étapes de la récolte au champ : fauche, battage et tri des grains, glumes et paille y sont réalisés directement. Puis, l’agrandissement du matériel suivit l’augmentation de la vitesse de récolte. La récolte actuelle avec moissonneuse-batteuse est aujourd’hui généralisée et le ballet de ces machines anime les paysages estivaux des régions céréalières. Elles peuvent être possédées par chaque ferme ou être l’outil d’un entrepreneur qui loue ses services en suivant l’avancée des moissons au sein d’une région, ou même du sud au nord de notre pays. Ainsi, de nombreux champs de céréales verront la même moissonneuse-batteuse y réaliser les récoltes. Qu’il s’agisse de blé, d’orge, de seigle ou même de lentilles, les machines modernes permettent des récoltes rapides, qui font vite disparaître nos céréales des champs.

Entre silos et balcons débordants du Queyras
Que deviennent ensuite ces grains dans nos paysages agricoles ? Pendant des siècles, leurs stockages se trouvaient très proches des paysans, au sein de leur foyer. Ces stockages étaient très discrets, souvent en partie haute des fermes : les greniers (grenier à grains est un pléonasme). Ceux-ci étaient équipés pour éviter l’appétit des rongeurs et oiseaux, et de nombreux chats veillaient… au grain !

Une petite région se distingue en ayant élaboré des greniers à distance des habitations pour les protéger des risques d’incendie. Spécifiques des Vosges méridionales, ces bâtiments appelés chalots ou chellos servaient aussi à stocker alcool et papiers familiaux de valeur.

Une autre petite région de France, le Queyras, a conçu des bâtiments spécifiques pour la récolte des céréales : les maisons à balcons débordants.

Bien connues des architectes, ces fermes utilisaient les fustes, grands troncs de mélèze, pour soutenir des balcons très aérés et abrités de la pluie. Dans ces montagnes au climat pluvieux, ces structures permettaient de rentrer le foin, même humide, et les céréales avant maturité complète, pour réaliser un préstockage en vue de leur séchage complet.

Actuellement, le stockage des céréales est très visible dans les paysages céréaliers, se faisant dans des silos. Parfois proches des voies navigables où les céréales seront transférées dans des barges, parfois seuls au milieu des champs, ces silos de stockage sont les énormes phares modernes des terres céréalières. Qu’ils soient en béton, la plupart du temps, ou en acier galvanisé, parfois, leurs tailles les rendent très repérables et souvent ils servent de points de repérage sur de très longues distances. La raison principale de leur construction isolée au milieu des paysages agricoles est le risque d’explosion lié aux fines poussières que dégagent les céréales transbordées. Ainsi, chaque département de région céréalière compte plusieurs dizaines de silos de stockage, soient plus de 7 000 au niveau du pays.

Cet extrait est issu de l'ouvrage :

Paysages de campagne

Par Marc Benoît

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