Grâce à leur capacité de décomposition, les champignons ont un rôle essentiel au bon fonctionnement des forêts.

Le forestier sait que le « bois mort » est un compartiment biologique majeur de la forêt, constitué par le bois qui ne comporte plus de cellules vivantes. Le bois mort regroupe les arbres morts, sur pied (volis et chandelier) ou au sol (chablis), toute partie morte d’un arbre (arbre blessé ou sénescent) ou n’importe quel morceau de bois (dont les branches et branchettes) mort suspendu en l’air ou tombé au sol ou dans l’eau. Au cours de l’automne, 200 000 à 300 000 feuilles tombent d’un arbre adulte. Ces feuilles mortes vont former une litière fraîche de 3 à 5 t/ha qu’un ensemble d’organismes s’évertue alors à déchiqueter. Des escargots, des limaces, des larves de diptères et de petits vers rongent l’épiderme et le parenchyme foliaires, alors que les acariens et les mille-pattes grignotent les tissus de la feuille, ne laissant subsister que les nervures.

L’essentiel de ce matériel végétal est rejeté après digestion et broyage par cette guilde d’animalcules sous formes de boulettes fécales que les vers de terre engloutiront avant de les restituer au cours de leur migration à travers les horizons du sol. Cet émiettement forcené augmente considérablement la zone de contact entre les débris foliaires et les particules de sol, facilitant l’action des bactéries et des champignons décomposeurs. Ce mélange composé de débris végétaux, de cadavres d’animaux et de particules d’argile forme le complexe argilo-humique constituant l’essentiel de l’humus, une source très riche de nourriture pour les arbres, la végétation accompagnatrice et la microflore.

Bactéries et champignons constituent une chaîne trophique de métabolisation de la matière organique en décomposition. Seules quelques bactéries sont capables de dégrader la lignine et la cellulose. Par contre, des milliers de champignons ont l’arsenal enzymatique nécessaire au démantèlement de la lignine et de la cellulose emprisonnées dans la matière organique végétale. N’oublions pas que la lignine représente près de 95 % de la biomasse terrestre ! Les champignons dégradent 400 milliards de tonnes de lignine chaque année sur notre planète. Les produits issus de cette décomposition biochimique sont incorporés à l’humus ou servent de substrat aux millions d’organismes et de racines qui colonisent l’humus.

Au cours de ce processus de métabolisation, des complexes associant polyphénols et protéines conduisent à la formation de tanins qui ne seront dégradés que lentement par des champignons spécialisés, comme les agarics. Tous ces produits de décomposition constituent la « tisane du sol », une solution de matières organiques solubles composée principalement d’acides aminés, de sucres, de composés phénoliques, d’éléments minéraux et d’argile… une réserve de nourriture indispensable au bon fonctionnement de la forêt. Grâce à cette série de processus où les champignons jouent un rôle essentiel, une feuille de hêtre est dégradée en trois à quatre ans ; une aiguille de conifère le sera en dix ans. Dans la forêt amazonienne, la décomposition d’une feuille est beaucoup plus rapide et peut s’effectuer en quelques mois seulement grâce aux températures élevées qui règnent dans ce milieu saturé d’humidité. L’activité des champignons décomposeurs y est énormément accélérée.

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