La pandémie actuelle du Coronavirus nous marquera psychologiquement et pour longtemps, au risque d’amplifier une peur collective, surtout dans les grandes métropoles, qui existe déjà et porte un nom. C’est la mysophobie, ou germophobie, c’est-à-dire la phobie des microbes.

Qui n’a pas pensé à la suitede douleurs à l’estomac à la bactérie Helicobacter pylori ? Qui ne s’est jamaisinquiété devant les moisissures des maisons comme Aspergillus ? Qui n’a pasfantasmé en pensant au virus Ebola, pourtant cantonné à l’Afrique équatoriale ?La mysophobie naît de l’invisible, et du fait que cet invisible peut se trouverpartout. C’est le cas notamment dans les transports en commun. Un projet priméau concours Lépine 2019 est emblématique à cet égard. Quatre étudiants del’université Paris-Sorbonne ont mis au point un protège-main portatif qui seplace sur la paume pour s’agripper aux barres de maintien du métro sans lestoucher. Ce dispositif aura probablement du succès dans les années à venir. Maisil faut aussi voir les choses positivement.

Pour contrebalancer la mysophobie ambiante, l’artiste britannique Craig Warda transformé le monde microbien du métro de New York en oeuvre d’art. Il aparcouru les 22 lignes avec des éponges stériles qu’il a appliquées sur diversessurfaces, barres, sièges, etc. Il a ensuite déposé chaque éponge sur un milieunutritif gélosé qu’il a laissé incuber dans son atelier pendant une semaine. Il enrésulte une série d’images intitulée Subvisual Subway, qui révèle un portraitinvisible de la ville.

Outre cette oeuvre artistique, des projets de recherche ont également vu lejour ces dernières années pour révéler au grand jour les micro-organismes dumétro. En 2015, une équipe a publié les résultats d’une campagne de séquençagemassif de l’ADN prélevé dans les 468 stations de New York et dans les rames.Le projet a identifié 637 espèces de bactéries dont une plus abondante queles autres, Pseudomonas stutzeri, qui se trouve sur la peau mais aussi dansle sol. Si elle peut être pathogène pour l’homme, elle provoque rarement desmaladies. D’autres espèces provenaient du tube digestif et des organes génitaux.

Les chercheurs ont même mis au jour des bactéries… marines. Celles-ci setrouvaient dans une station qui avait été inondée par l’océan lors de l’ouraganSandy en 2012. S’il n’y a pas de quoi alimenter les peurs, d’autres résultatsde cette étude font quand même réfléchir. Parmi les séquences génétiquesidentifiées dans plusieurs stations se trouvaient celles de Bacillus anthracis, àl’origine de la maladie du charbon, ou anthrax, et de Yersinia pestis, le bacillede la peste bubonique ! Mais, comme pour les cyanobactéries du cuir chevelu oule microbiote du placenta, des séquences génétiques ne signifient pas que lesmicro-organismes correspondants soient vivants ou même intacts. Ce qui estégalement rassurant, c’est qu’aucun cas de maladie du charbon ou de peste n’aété relevé depuis des décennies à New York ou aux alentours.

Un autre séquençage massif d’ADN, publié en 2018, a été réalisé cette foisdans les stations et les rames du métro de Hong Kong. Les chercheurs n’ontpas prélevé les échantillons sur les surfaces comme précédemment, mais surles paumes des voyageurs. Des volontaires s’étaient lavé les mains selon uneprocédure standard, puis avaient pris le métro en tenant les rampes, les barresde maintien et d’autres surfaces pendant 30 minutes. Ils devaient voyager auxheures de pointe, soit le matin entre 9 h et 11 h 30, soit l’après-midi entre19 h et 21 h 30. Résultat : 140 espèces de bactéries furent identifiées sur lespaumes dont Propionibacterium acnes, qui fait partie du microbiote cutanéde la plupart des jeunes et des adultes en bonne santé. Cette bactérie est àl’origine des boutons de la puberté. Les résultats ont également montré queles phages spécifiques à cette espèce étaient aussi abondants.

Si l’on compare les résultats, on s’aperçoit que le nombre d’espèces debactéries est très différent, 637 dans les stations et les rames du métro deNew York et 140 sur les mains des usagers de celui de Hong Kong, ce qui amènedeux hypothèses. Les communautés bactériennes du métro ne seraient pas lesmêmes selon la ville ou même le pays. Ou alors, les bactéries qui se trouventdans les stations et les rames ne se retrouveraient pas automatiquement surles mains. La deuxième hypothèse est plutôt rassurante.

Cet extrait est issu de l'ouvrage :